Surnommé le père du karaté-dô moderne. L’homme dont la photo orne plus de dôjô qu’aucun autre. Le maître de karaté-dô sur lequel on a le plus écrit et raconté. Un homme de qui plusieurs millions d’adeptes se réclament aujourd’hui comme héritiers de son enseignement, mais dont l’enseignement véritable n’a peut-être même pas survécu à sa mort pourtant relativement récente. L’homme à qui je dis “merci” aujourd’hui, car je crois que sans lui je ne pratiquerais pas le karaté-dô. Après tout ce qui a été écrit à son sujet que puis-je ajouter? Simplement une sobre présentation de ce petit géant de l’art du karaté.
Né sur l’île d’ Okinawa en 1868, Gichin Funakoshi voulut d’abord étudier la médecine. Mais en cette période de grand changement au Japon, on exigeait des élèves de se couper le chignon (signe d’un statut familial et de respect envers les ancêtres), une offense que le jeune Funakoshi ne pouvait accepter… Il deviendra donc enseignant à l’âge de 21 ans, métier qu’il exercera pendant plus de 30 ans sur son île natale.
A l’âge de 12 ans il débute la pratique du karaté sous la tutelle de maître Ankhô Azato (1828-1906) dont il fut l’unique élève connu. A cette époque la pratique se fait la nuit dehors, loin des regards. Par la suite il étudia sous maître Ankho Itosu (1830-1915), un ami de maître Azato. C’est vraiment avec maître Itosu que commence l’aire de modernisation du karaté-dô. En effet c’est en 1901 qu’il fait adopter le karaté comme discipline d’éducation Physique à l’école primaire de la ville de Shuri. C’est une période de grands bouleversements pour la société japonaise mobilisant sa jeunesse pour développer sa puissance militaire. Les jeunes pratiquants de karaté furent remarqués par leur physique particulièrement bien développé, ce qui n’est pas étranger à l’engouement par l’état envers cette discipline comme moyen d’éducation physique… Il n’est donc pas étonnant de constater que la pédagogie développée par maître Itosu était largement inspirée des méthodes de formation de l’armée japonaise elle-même axée sur la formation de masse, en groupe, une révolution dans l’enseignement du karaté à Okinawa. C’est également à cette époque que maître Itosu créa les “petits” kata tels que les pin-an (heian) et naihanchin (tekki). L’influence de ces changements marquera profondément maître Funakoshi. Ce dernier continuera son apprentissage sous ses deux maîtres tout en menant son travail d’enseignant à l’école. Il continuera d’ailleurs sa pratique du karaté-dô toute sa vie.
En 1921, le Prince Impérial s’arrêta à Okinawa où il assista à une démonstration de karaté où Gichin Funakoshi participa en dirigeant une démonstration d’écoliers. En 1922, il sera envoyé à Kyoto pour présenter le karaté lors d’une exposition nationale d’éducation physique. Peu après, maître Jigoro Kano, fondateur du judô, qui occupe des fonctions très importantes au sein du Ministère de l’Education, le pria de rester au Japon pour y faire connaître le karaté, notamment lors d’une démonstration à son dôjô le Kôdôkan. Funakoshi accepte et, à 53 ans il laisse femme, enfants et travail à Okinawa pour diffuser avec passion le karaté dans le monde japonais d’abord et, par ricochet et sans s’en douter, le monde entier par la suite. La fameuse démonstration au Kôdôkan eu lieu en mai 1922, où un jeune étudiant, originaire lui aussi d’Okinawa et déjà adepte du karaté nommé Shinkin Gimma, l’assista. Maître Gimma obtiendra le tout premier diplôme de shodan (ceinture noire 1er dan) émis par Funakoshi. Maître Gimma restera d’ailleurs une sorte de mémoire du karaté jusqu’à sa mort à l’âge de 92 ans. Noter que maître Kenji Tokitsu a obtenu son grade de rokkudan (ceinture noire 6ème dan) directement de maître Gimma. En plus de sa formation auprès des maîtres Shôzan Kubota principalement et Taiji Kase ainsi qu’au club universitaire en Shotokan, ceux qui auraient des doutes sur les liens de notre école avec l’enseignement de maître Funakoshi n’ont qu’à aller faire leurs devoirs et leur éducation face à une telle filiation… Ce n’est pas parce que l’on ne fait pas partie des grandes associations du Shotokan (J.K.A., S.K.I., W.S.K.F, et les multiples autres…) que l’on ne peut se réclamer, du moins en partie, de l’enseignement de ce grand maître.
Les premières années de diffusion seront particulièrement ardues et le maître vivra dans une grande pauvreté. Le karaté est complètement inconnu au Japon et peu de personnes s’y intéressent. Au bout de 2 ou 3 ans le nombre d’élèves commence à augmenter, particulièrement dans le milieu étudiant. Des clubs se forment au sein des différentes universités. Maître Funakoshi écrira plusieurs livres sur le karaté dont le plus important Karaté-dô Kyohan (texte d’enseignement du karaté-dô), en 1935. Grâce à la contribution de nombreux élèves le premier dôjô de karaté est créé en 1938, le Shôtôkan (la maison de Shôtô), nommé en l’honneur du maître dont le nom de calligraphie était “Shôtô”(le bruissement de la Pinède). C’est sans doute la période la plus heureuse de sa vie. C’est aussi à cette époque qu’il changera la signification du mot karaté de “mains (techniques) de Chine” pour “voie des mains vides”. En 1945, lors d’un bombardement, le Shôtôkan est complètement détruit.
Ici débute une période très sombre pour maître Funakoshi car, peu après la destruction de son dôjô, sa femme meurt et son fils Yoshitaka Funakoshi, qui devait lui succéder, tombe malade (tuberculose) et meurt lui aussi la même année. Heureusement les élèves survivants de la guerre recommencent à s’entraîner et à se regrouper pour reformer l’école Shôtôkan. Le maître a alors 80 ans. l’année suivante la fameuse Japan Karaté Association (J.K.A.) est formée avec Funakoshi à sa tête. Mais, d’importants conflits, issus de visions divergentes, éclatent au sein du groupe, bien que le nombre d’adeptes lui continue d’augmenter. A la mort de Gichin Funakoshi en 1957 à l’âge de 89 ans, les contradictions du groupe Shôtôkan explosent menant à la création de différents groupes.
L’importance de l’oeuvre de maître Gichin Funakoshi est énorme et dépasse largement le cadre d’un simple article. Je renvoie le lecteur au livre “Histoire du karaté-dô” de maître Tokitsu, duquel s’inspire largement cet article, pour avoir une idée beaucoup plus complète de l’impact et de la problématique de sa vie et de son enseignement.